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Poursuivre la route dans un groupe réduit de moitié présentait des avantages. Le voyage semblait plus facile. Il y avait moins de choses à régler et pas de radeaux à porter, moins de nourriture à trouver, moins de bois ou autre combustible à ramasser pour la faire cuire, moins d’outres à remplir, moins d’espace nécessaire pour installer le camp, ce qui leur offrait un plus grand choix. Leurs nouveaux amis leur manquaient mais ils progressèrent plus vite et ne tardèrent pas à établir une nouvelle routine plus efficace. La petite rivière leur assurait une source d’eau constante et sa berge constituait une piste facile à suivre, quoique en pente la plupart du temps.

Ceux qui vivaient près du lieu sacré suivant que la Première voulait montrer à Ayla constituaient une branche de la Première Caverne du Sud. En chemin, la doniate tendit le bras vers un abri.

— Voilà l’entrée de la grotte peinte dont je t’ai parlé, dit-elle à Ayla.

— C’est un endroit sacré, on ne peut pas aller simplement le visiter ?

— Elle se trouve sur le territoire de la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud, qui considèrent que c’est à eux de l’utiliser et de la montrer. Il y a aussi le problème de ceux qui souhaiteraient y ajouter de nouvelles peintures. Si Jonokol en éprouvait l’envie, les membres de la Quatrième seraient sans doute très heureux, mais il vaudrait mieux qu’il en fasse d’abord la demande. L’un d’eux pourrait avoir l’intention de peindre au même endroit. C’est peu probable, mais si c’était le cas, cela pourrait signifier que le Monde des Esprits a quelque chose à dire à la Zelandonia.

La Première expliqua ensuite qu’il fallait toujours reconnaître le territoire qu’une Caverne considérait comme sien. Aucune ne concevait cependant que la terre puisse appartenir à quelqu’un en particulier. Elle était l’incarnation de la Grande Mère, donnée à tous Ses enfants. Toutefois, les habitants d’une région voyaient leur territoire comme leur foyer. Les autres étaient libres de la traverser à condition de faire preuve de considération et de respecter les usages.

Tout le monde pouvait chasser, pêcher, cueillir la nourriture nécessaire, mais la politesse exigeait de signaler d’abord sa présence à la Caverne locale. C’était particulièrement vrai pour les voisins mais aussi pour les groupes de passage, afin de ne pas perturber les projets éventuels de la Caverne. Si par exemple un guetteur avait repéré l’approche d’un troupeau, si la communauté préparait une grande chasse pour se constituer des réserves de viande en prévision de la saison froide, les esprits risquaient de s’échauffer si des voyageurs poursuivant un seul animal dispersaient tout le troupeau. Si au contraire ils se présentaient à la Caverne locale, celle-ci les invitait le plus souvent à se joindre à la grande chasse et à garder une part du gibier abattu.

Le plupart des Cavernes postaient des guetteurs qui observaient constamment les environs, en particulier pour repérer les troupeaux en migration mais aussi toute activité inhabituelle dans la région, et un groupe voyageant avec un loup et trois chevaux était à coup sûr inhabituel. Surtout si l’une de ces bêtes tirait un travois sur lequel une femme énorme était assise. Lorsque les voyageurs furent en vue du foyer de la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud, un groupe s’était déjà formé pour les accueillir. Après que la femme massive eut quitté son siège, un homme au visage orné de tatouages indiquant son rang de Zelandoni s’avança pour la saluer. Il avait reconnu les tatouages faciaux de la doniate.

— Salutations à la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère, entonna-t-il en approchant d’elle, les mains tendues en signe de franchise et d’amitié. Au nom de Doni, Mère bienveillante qui pourvoit aux besoins de tous, soyez les bienvenus.

— Au nom de Doni, Très Généreuse Mère Originelle, je te salue, Zelandoni de la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud, répondit la Première.

— Qu’est-ce qui vous amène si loin au sud ?

— Le Périple de Doniate de mon acolyte.

L’homme vit une superbe femme de haute taille accompagnée d’une ravissante fillette faire un pas vers lui. Il sourit, tendit de nouveau les bras, remarqua alors le loup et regarda autour de lui avec nervosité.

— Je te présente Ayla, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, commença la Première avant de réciter les noms et liens les plus importants de son acolyte.

— Sois la bienvenue, Ayla de la Neuvième Caverne, répondit l’homme, tout en s’interrogeant sur la présence d’animaux autour d’elle.

Ayla s’avança, les mains tendues elle aussi.

— Au nom de Doni, Mère de Toute Chose, je te salue, Zelandoni de la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud.

Le doniate s’efforça de masquer la surprise que lui causa l’accent de cette femme. À l’évidence, elle était originaire d’un lieu lointain. Il était rare qu’un étranger soit admis dans la Zelandonia et pourtant cette femme était acolyte de la Première.

Grâce à sa capacité à remarquer de subtiles nuances d’expression, Ayla décela l’étonnement de cet homme et sa tentative pour le dissimuler. La Première s’en aperçut également et retint un sourire. Le Voyage s’annonce intéressant, pensa-t-elle. On parlera longtemps de visiteurs venus avec des chevaux, un loup et un acolyte étranger. Elle estima nécessaire d’éclairer le Zelandoni sur le statut d’Ayla et de lui présenter le reste du groupe. D’un signe, elle invita Jondalar à s’avancer.

— Voici Jondalar, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, Maître Tailleur de Silex de cette communauté, frère de Joharran qui en est l’Homme Qui Commande, fils de Marthona qui a été leur Femme Qui Commande, né au foyer de Dalanar, Homme Qui Commande et fondateur des Lanzadonii, compagnon d’Ayla Acolyte de la Première, mère de Jonayla et Protégée de Doni.

Les deux hommes procédèrent à l’échange rituel de salutations en se serrant les deux mains. S’il arrivait qu’on donne aux rencontres ordinaires autant de cérémonial, la Première eut l’impression que le doniate ne manquerait pas de raconter maintes fois l’histoire de cette visite, et si elle avait voulu faire faire ce Périple à Ayla, ce n’était pas uniquement pour lui montrer les sites sacrés du territoire zelandonii mais aussi pour la présenter à un grand nombre de Cavernes. Elle avait pour Ayla des projets que personne d’autre ne connaissait, pas même l’intéressée. Elle fit ensuite signe à Jonokol.

— J’ai proposé à mon ancien acolyte de participer à ce Périple parce que je ne l’ai pas fait quand il n’était encore que Jonokol. C’est maintenant un peintre de talent mais aussi un Zelandoni intelligent et important.

Les tatouages du côté gauche du visage de Jonokol témoignaient de ce qu’il n’était plus simple acolyte. Les Zelandonia se faisaient tatouer sur la partie gauche de la face, le plus souvent le front ou la joue. Les chefs étaient tatoués sur le côté droit et les autres personnes importantes arboraient des symboles au milieu du front, généralement plus petits.

Jonokol s’avança et se présenta :

— Je suis le Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne et je te salue, Zelandoni de la Quatrième Caverne des Zelandonii dans les Terres Situées au Sud de la Grande Rivière.

— Je te salue, sois le bienvenu ici.

Willamar fut le suivant :

— Je suis Willamar des Zelandonii, compagnon de Marthona, ancienne Femme Qui Commande de la Neuvième Caverne et mère de Jondalar. Je suis connu pour être le Maître du Troc de la Neuvième Caverne et j’ai amené mes deux apprentis.

Les deux jeunes gens procédèrent eux aussi aux salutations.

— Je suis déjà venu ici une fois et j’ai vu votre remarquable lieu sacré, reprit Willamar. Cette expédition de troc est ma dernière. Désormais, ce sont ces deux hommes que tu verras. J’ai connu le Zelandoni qui t’a précédé, est-il encore doniate ?

C’était en fait une façon de demander s’il était encore en vie. L’ancien Zelandoni était de la même génération que Willamar, peut-être un peu plus âgé, alors que le doniate actuel était jeune.

— Oui, il est à la Réunion d’Été, mais sa santé n’est pas bonne. Comme toi, il envisage de renoncer à ses fonctions. L’année prochaine, il restera ici pour prendre soin de ceux qui ne peuvent pas se rendre à la Réunion. Mais toi qui parais bien portant, pourquoi cèdes-tu la place à ces jeunes gens ?

— Il est possible de continuer quand on n’est pas obligé de quitter sans cesse sa région, mais un Maître du Troc voyage, et pour être franc je suis las des voyages. Je souhaite passer plus de temps avec ma compagne et ma famille.

Indiquant Jondalar, Willamar poursuivit :

— Ce jeune homme n’est pas né à mon foyer mais pour moi, c’est tout comme. Il y a vécu depuis qu’il savait à peine marcher. Je me suis demandé un moment s’il arrêterait de grandir.

Il sourit au grand homme blond.

— Il en va de même pour Ayla, sa compagne. Marthona est la grand-mère de remarquables enfants, dont cette jolie fillette dont je me sens l’aïeul. Marthona a également une fille qui est l’enfant de mon foyer et qui est en âge de s’unir. Je suis impatient d’être l’aïeul de ses enfants. Voilà pourquoi il est temps que je renonce aux voyages.

Ayla avait écouté avec intérêt l’explication de Willamar. Elle avait deviné qu’il voulait passer plus de temps avec Marthona mais elle ne s’était pas rendu compte de la force de son attachement pour les enfants de sa compagne et leurs enfants, ainsi que pour Folara, l’enfant de son foyer. Elle prit conscience qu’il devait encore souffrir de la perte de Thonolan, fils de son foyer, mort au cours du Voyage entrepris avec Jondalar.

La Première en finit avec les présentations :

— Nous avons aussi une jeune femme qui nous accompagne pour retourner à sa Caverne. Son compagnon vivait près de chez nous. Il l’avait rencontrée pendant un Voyage et l’avait ramenée, mais il parcourt à présent le Monde d’Après. Voici Amelana, des Zelandonii du Sud.

L’homme regarda la jeune femme et sourit. Il la trouva jolie et devina qu’elle était enceinte, non parce que cela se voyait déjà beaucoup mais parce qu’il avait le sens de ces choses. Il tendit les bras vers elle.

— Au nom de Doni, tu es la bienvenue, Amelana des Zelandonii du Sud.

Il aurait voulu la conduire tout de suite à un endroit où elle pourrait s’asseoir mais il devait d’abord dire un mot de ceux qui étaient absents.

— Notre Femme Qui Commande n’est pas ici. Elle est à la Réunion d’Été avec les autres.

— Je m’en doutais, répondit la Première. Où se tient-elle cette année ?

— À trois ou quatre jours de marche vers le sud, au confluent de trois rivières, intervint l’un des chasseurs restés pour aider les vieux et les malades. Je peux t’y conduire ou aller la chercher. Elle s’en voudrait de t’avoir manquée.

— Désolée, nous ne pouvons pas rester aussi longtemps. J’ai prévu un long Périple de Doniate pour mon acolyte et le Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne : jusqu’aux montagnes centrales puis loin à l’est. Nous tenons à visiter votre grotte sacrée, elle est très importante, mais nous devons en voir beaucoup d’autres pour que notre voyage soit complet. Peut-être qu’au retour… Attends, au confluent de trois rivières, dis-tu ? N’est-ce pas près d’un lieu sacré, une vaste grotte richement ornée ?

— Si, bien sûr, répondit le chasseur.

— Alors, je crois que nous verrons votre Femme Qui Commande. J’ai inclus la visite de cette grotte dans notre périple.

La Première se félicita d’une coïncidence qui lui permettrait de présenter Ayla à de nombreuses autres Cavernes.

— J’espère que vous mangerez au moins avec nous ce soir et que vous passerez la nuit ici, dit le Zelandoni.

— Avec plaisir. Merci de ton invitation. Où veux-tu que nous installions notre camp ?

— Nous avons une hutte pour les visiteurs, mais je dois d’abord aller y regarder. Comme nous sommes peu nombreux ici, nous ne l’utilisons pas en ce moment. Je ne sais pas dans quel état elle est.

En hiver, lorsqu’une Caverne, communauté semi-sédentaire dont les membres vivaient ensemble, le plus souvent une famille élargie, occupait l’abri de pierre qu’elle considérait comme son foyer, elle avait tendance à se répartir en habitations plus petites, se dispersant un peu. En été, ceux qui restaient préféraient se regrouper. Des constructions habitées pendant la saison froide étaient désertées, ce qui incitait de petits animaux comme les souris, les campagnols, les tritons, les crapauds, les serpents, ainsi que diverses araignées, à s’y installer.

— Montre-la-nous. Nous la nettoierons et elle fera l’affaire, j’en suis certaine, assura la Première. Nous avons monté nos tentes toutes les nuits depuis notre départ. Un abri sera un changement bienvenu.

— Je veux au moins vérifier qu’il y a de quoi faire du feu, déclara le Zelandoni en se dirigeant vers la hutte.

Les voyageurs le suivirent. Une fois installés, ils se rendirent là où s’étaient rassemblés ceux qui n’étaient pas partis pour la Réunion d’Été. Une visite était généralement un événement bienvenu, une distraction, excepté pour ceux qui étaient trop malades pour se lever. La Première se faisait toujours un devoir de passer voir ceux qui n’étaient pas en bonne santé. Le plus souvent, elle ne pouvait pas grand-chose pour eux, mais la plupart appréciaient cette attention et parfois elle parvenait à les aider. Ils étaient généralement très âgés, ou malades, ou blessés, ou au dernier stade d’une grossesse difficile. On les avait laissés à la Caverne mais pas abandonnés. Des proches, parents ou amis, faisaient en sorte qu’il y ait quelqu’un pour s’occuper d’eux et le chef de la Caverne désignait des chasseurs qui, à tour de rôle, les ravitaillaient et servaient de messagers en cas de besoin.

La Caverne prépara un repas commun, auquel les visiteurs apportèrent leur contribution. On était proche de la période des plus longs jours de l’année et après que tous eurent mangé la Première suggéra à Ayla et au Zelandoni de la Dix-Neuvième – qu’Ayla continuait à appeler Jonokol la plupart du temps – de profiter de ce qu’il faisait encore clair pour aller voir ceux qui n’avaient pas pris part au repas parce qu’ils étaient malades ou affaiblis. Ayla laissa Jonayla avec Jondalar mais Loup l’accompagna.

Personne n’avait de problème immédiat dont on ne se serait pas occupé. Un jeune homme avait une jambe brisée mal remise en place, mais il était trop tard pour y faire quoi que ce soit. Elle était presque guérie et il pouvait marcher, quoique en boitant. Une femme avait été gravement brûlée aux bras et aux mains, ainsi qu’à certaines parties du visage. Elle aussi était presque guérie mais, à cause de ses cicatrices, elle avait décidé de ne pas aller à la Réunion d’Été. Elle n’était même pas venue accueillir les visiteurs. Son cas nécessite des soins d’une autre nature, pensa la doniate. Le reste se composait principalement de vieux qui avaient mal aux genoux, aux chevilles, aux hanches, qui respiraient difficilement ou avaient des vertiges, entendaient ou voyaient si mal qu’ils avaient renoncé à faire une marche de trois jours, mais ils étaient heureux de recevoir des visiteurs.

Ayla passa un moment avec un homme presque sourd et ceux qui s’occupaient de lui. Elle leur montra des signes simples de la langue du Clan grâce auxquels il pourrait exprimer ses besoins et comprendre leurs réponses. Dès qu’il eut saisi ce qu’elle tentait de faire, il apprit rapidement. Plus tard, le Zelandoni de la Caverne lui confia que c’était la première fois depuis longtemps qu’il le voyait sourire.

Comme ils sortaient de l’habitation construite sous le surplomb rocheux, Loup s’éloigna d’Ayla pour aller flairer autour d’une autre construction installée dans un coin. Une femme poussa un cri de peur. Laissant les autres, Ayla alla immédiatement voir ce qui se passait et découvrit une femme recroquevillée sur elle-même, la tête et les épaules en partie dissimulées par une couverture souple en peau de daim. Allongé sur le ventre, Loup gémissait faiblement. Ayla s’accroupit près de lui et attendit, puis s’adressa à la femme effrayée :

— Ce n’est que Loup.

Comme elle avait employé le mot mamutoï pour désigner l’animal, la femme brûlée, n’entendant qu’un son étrange, se rencogna plus encore.

— Il ne te fera aucun mal, poursuivit Ayla en passant un bras autour de Loup. Je l’ai trouvé alors qu’il n’avait que quelques semaines et il a grandi avec les enfants du Camp du Lion des Mamutoï.

Ces autres mots peu familiers éveillèrent malgré elle la curiosité de la femme. Ayla entendit que sa respiration se calmait.

— Il y avait dans ce camp mamutoï un jeune garçon que la compagne de l’Homme Qui Commande avait adopté. Certains le traitaient d’abomination, mélange d’un membre du Clan – une Tête Plate – et d’un d’entre eux, mais Nezzie avait du cœur. Elle allaitait son propre enfant et après la mort de la femme qui avait donné naissance au garçon, elle le nourrit également. Elle ne pouvait laisser Rydag passer lui aussi dans le Monde d’Après. Mais il était faible, incapable de parler comme nous.

« Ceux du Clan s’expriment surtout par gestes. Ils ont des mots mais pas autant que nous et ils n’arrivent pas à prononcer un grand nombre des nôtres. J’ai perdu ma famille dans un tremblement de terre mais j’ai eu la chance d’être recueillie par une femme du Clan, qui m’a élevée. J’ai appris leur langue en grandissant. Voilà pourquoi je parle d’une manière différente, surtout pour certains mots. J’ai beau faire des efforts, je n’arrive toujours pas à émettre certains sons.

Malgré l’obscurité, Ayla remarqua que la femme avait laissé la couverture glisser le long de son visage et qu’elle écoutait attentivement. Loup continuait à geindre en tentant de se rapprocher.

— Lorsque j’ai ramené Loup au Camp du Lion, il a noué une relation spéciale avec ce garçon faible. Je ne sais pas pourquoi mais Loup aime aussi les bébés et les jeunes enfants. Il les laisse le malmener, tirer sur ses poils, et ne se plaint jamais. C’est comme s’il savait qu’ils ne le font pas exprès. Il a avec eux une attitude très protectrice. On peut trouver cela étrange, mais c’est ainsi que font les loups avec leurs petits. Toute la meute protège les jeunes et Loup se montrait particulièrement protecteur envers ce garçon.

« Je crois qu’il ressent la même chose pour toi. Il sait que tu as été brûlée, il veut te protéger. Regarde, il essaie de s’approcher de toi mais il le fait très lentement. As-tu déjà touché un loup vivant ? Sa fourrure est douce par endroits, rêche à d’autres. Si tu veux, je te montre.

Sans prévenir, Ayla prit la main de la jeune femme et avant qu’elle ait pu se libérer la plaça sur la tête de l’animal, qui posa doucement sa tête sur la jambe de la brûlée.

— Il est chaud, n’est-ce pas ? Et il aime qu’on le gratte derrière les oreilles.

Lorsque la femme commença à caresser Loup, Ayla lui lâcha la main. Elle avait senti les cicatrices, la rugosité de la peau qui s’était tendue en guérissant, mais la femme semblait avoir recouvré l’usage de son bras.

— Comment est-ce arrivé ? demanda Ayla. Tes brûlures ?

— J’avais mis des pierres chaudes dans un panier à cuire et j’en avais ajouté jusqu’à ce que l’eau commence à bouillir. Quand j’ai voulu le porter ailleurs, il a craqué et l’eau m’a aspergée. Quelle bêtise ! Je savais que ce panier était usé, j’aurais dû cesser de m’en servir, mais je voulais simplement me faire une tisane et il était à portée de main.

Ayla hocha la tête.

— Parfois, nous ne prenons pas le temps de réfléchir. Tu as un compagnon ? Des enfants ?

— Oui, j’ai un compagnon, et des enfants, un garçon et une fille. Je lui ai dit de les emmener à la Réunion d’Été, il n’y a aucune raison de leur faire payer ma stupidité. C’est de ma faute si je ne peux plus y aller.

— Pourquoi ne pourrais-tu pas ? Tu peux encore marcher, non ? Tu n’as pas été brûlée aux jambes ni aux pieds.

— Je ne veux pas que les gens regardent avec pitié mon visage et mes mains couturés, répliqua-t-elle rageusement, les larmes aux yeux.

Elle écarta sa main de Loup et remit la couverture sur sa tête.

— Certains te regarderont avec pitié mais nous avons tous des accidents, et des gens naissent avec des problèmes plus graves. Tu ne dois pas laisser ces brûlures t’empêcher de vivre. Ton visage n’est pas si marqué et avec le temps les cicatrices pâliront et se verront moins. Tu as été plus gravement brûlée aux mains, et sans doute aussi aux bras, mais j’ai vu que tu peux te servir de tes mains.

— Pas comme avant.

— Cela reviendra.

— Comment sais-tu autant de choses ? Qui es-tu ?

— Je suis Ayla, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, répondit la compagne de Jondalar, qui tendit les bras pour les salutations rituelles et entama la récitation de ses noms et liens. Acolyte de la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère…

Lorsqu’elle eut terminé, la femme, manquant à tous les usages, s’exclama :

— Son acolyte ? Son premier acolyte ?

— Son seul acolyte. Le précédent nous accompagne, il est à présent Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne. Nous sommes venus visiter votre grotte sacrée.

La femme se rendit compte qu’elle allait devoir tendre les bras et prendre les mains de cette jeune femme remarquable. C’était une des raisons pour lesquelles elle n’avait pas voulu se rendre à la Réunion d’Été : l’obligation de montrer non seulement son visage mais aussi ses mains à tous ceux qu’elle rencontrerait. Baissant la tête, elle songea à les dissimuler sous la couverture, à prétendre qu’elle ne pouvait pas procéder à des présentations rituelles, mais l’acolyte avait déjà touché l’une de ses mains et savait que ce n’était pas vrai. Finalement, après une longue inspiration, elle repoussa la couverture et tendit ses deux mains gravement brûlées.

— Je suis Dulana, de la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud… commença-t-elle.

Ayla écouta la liste des noms et liens en se concentrant sur le contact de ces mains à la peau hérissée de crêtes, et probablement encore un peu douloureuses.

— … nom de Doni, je te souhaite la bienvenue, Ayla de la Neuvième Caverne des Zelandonii.

— Tes mains te font encore mal ? Si c’est le cas, une infusion d’écorce de bouleau te soulagera. J’en ai avec moi.

— Notre Zelandoni m’en a donné mais je ne savais pas si je devais continuer à en prendre.

— Si la douleur persiste, fais-le. Cela les rendra aussi moins rouges. Je pense également que tu pourrais – toi ou quelqu’un que tu connais – fabriquer des mitaines avec une peau souple, une peau de lapin, par exemple. Ainsi, quand tu rencontreras des gens, ils ne remarqueront probablement pas que tes mains sont un peu rugueuses. As-tu du suif blanc et pur ? Je peux te faire une crème adoucissante, y ajouter peut-être un peu de cire d’abeille, et des pétales de rose pour qu’elle sente bon. J’en ai aussi. Tu pourrais la faire pénétrer dans tes mains en frottant, en mettre sur ton visage pour amollir les cicatrices et les rendre moins visibles.

Soudain, Dulana fondit en larmes.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Ayla. J’ai dit quelque chose qui t’a bouleversée ?

— Non. C’est juste la première fois que quelqu’un me redonne espoir, répondit Dulana en sanglotant. Tu m’as presque convaincue que mes cicatrices n’ont pas d’importance, que personne ne les remarquera. Notre Zelandoni a essayé de m’aider, lui aussi, mais il est jeune, et ce n’est pas un guérisseur très doué.

Elle s’interrompit, regarda Ayla dans les yeux.

— Je sais maintenant pourquoi la Première t’a choisie pour acolyte bien que tu ne sois pas née chez les Zelandonii. Elle est la Première et tu es Premier Acolyte. C’est comme ça que je dois t’appeler ?

Ayla eut un mince sourire.

— Je sais qu’un jour je devrai probablement renoncer à mon nom pour me faire appeler « Zelandoni de la Neuvième Caverne » mais pas trop tôt, j’espère. J’aime qu’on m’appelle Ayla. C’est mon nom, celui que ma vraie mère m’a donné. C’est la seule chose qui me reste d’elle.

— Ayla, donc. Et comment prononces-tu le nom de cet animal ?

Loup avait de nouveau posé sa tête sur la jambe de Dulana, ce qu’elle trouvait réconfortant.

— Loup, dit Ayla.

Dulana tenta de répéter le mot étrange ; Loup leva la tête et la regarda, comme pour l’encourager dans ses efforts.

— Viens rejoindre les autres, proposa Ayla. Le Maître du Troc est avec nous, il raconte de merveilleuses histoires sur ses voyages, et la Première chantera peut-être une des Légendes Anciennes, elle a une voix magnifique.

— Tu crois ? fit Dulana d’un ton hésitant.

Elle s’était sentie tellement seule dans son coin tandis que tous les autres passaient un bon moment avec les visiteurs. Lorsqu’elle se leva et sortit, Loup la suivit. Tous les membres de sa Caverne, en particulier le Zelandoni, furent étonnés de la voir, et plus encore de constater que le chasseur à quatre pattes semblait vouloir la protéger. C’est à côté d’elle, non d’Ayla ou de Jonayla, qu’il choisit de s’asseoir. La Première coula un regard à son acolyte et lui adressa un discret hochement de tête approbateur.

 

 

Le lendemain matin, les visiteurs et une partie de ceux de la Quatrième restés sur place se préparèrent à visiter la grotte peinte voisine. Il y avait dans la région plusieurs refuges de pierre qui abritaient diverses Cavernes, portant généralement chacune leur propre mot à compter, même s’il arrivait que deux ou trois d’entre elles vivant l’une près de l’autre décident de s’unir pour former une seule communauté. La plupart des abris étaient déserts à cause des habituelles activités de la belle saison. Quelques membres des Cavernes proches qui ne s’étaient pas rendus à leur Réunion d’Été avaient rejoint une Caverne dont le Zelandoni était resté sur place.

Les huit adultes du Périple de Doniate et cinq personnes résidant à la Quatrième Caverne des Zelandonii du Sud – dont deux chasseurs vivant normalement dans l’abri de pierre voisin – composaient le groupe venu visiter le lieu sacré. Dulana avait proposé de garder Jonayla, et Ayla devina que ses enfants lui manquaient. Comme Jonayla était d’accord pour rester avec la jeune femme et que Loup semblait l’être pour rester avec elle et l’enfant, Ayla avait accepté. Bien que sa fille sût marcher, elle n’avait que quatre ans et Ayla la portait encore souvent. Jondalar la relayait parfois, mais elle avait tellement l’habitude de la porter qu’elle eut l’impression d’oublier quelque chose quand ils se mirent en route.

Ils retournèrent au petit abri de pierre que la Première avait indiqué à l’aller. Il donnait à l’est et avait manifestement servi à l’occasion de lieu de vie. Le cercle sombre d’un ancien feu était encore partiellement entouré de pierres. Deux blocs de calcaire détachés d’une paroi ou du plafond avaient été disposés autour pour servir de sièges. Une couverture en cuir déchirée gisait près de quelques grosses branches qui nourriraient un feu toute la nuit une fois qu’il serait bien pris.

L’entrée de la grotte se trouvait à l’extrémité nord de l’abri, sous une partie du surplomb qui s’érodait, et les pierres qui en tombaient formaient un tas devant l’ouverture menant à l’intérieur de la falaise.

Le Zelandoni avait emporté du petit bois, de l’amadou, une planchette et un foret à feu ainsi que quelques lampes en pierre dans un sac à dos qu’il posa près du cercle de cendres. Quand Ayla le vit disposer ce matériel sur le sol, elle plongea la main dans le sac en cuir accroché à la lanière entourant sa taille et y prit deux pierres : un silex taillé en lame grossière et un gros caillou en forme de noix, aux reflets métalliques. Ce dernier présentait une rainure à l’endroit où on le frappait de manière répétée avec la lame de silex.

— Tu me laisses allumer le feu ? dit Ayla.

— Non, je suis doué pour ça, ça ne me prendra pas longtemps, répondit le Zelandoni.

Il entreprit de creuser dans la planchette une encoche où se logerait le foret de bois qu’il ferait ensuite tourner entre ses mains.

— Ça lui en prendra encore moins, déclara Willamar avec un sourire.

— Vous semblez bien sûrs de vous, répondit le jeune Zelandoni, qui se piquait au jeu.

Il était assez fier de son habileté à faire un feu : rares étaient ceux qui étaient capables d’en allumer un plus vite que lui.

— Laisse-la te montrer, suggéra Jonokol.

— Très bien, soupira le jeune doniate en se relevant. Vas-y.

Ayla s’agenouilla près des cendres froides, tourna la tête vers le Zelandoni.

— Je peux me servir de ton amadou et de ton petit bois ?

— Pourquoi pas ?

Ayla se pencha, frappa le morceau de pyrite de fer avec le silex et le jeune Zelandoni crut voir une brève lumière. Ayla frappa de nouveau, projetant cette fois une grosse étincelle sur l’amadou sec. Un filet de fumée s’éleva de l’endroit touché, sur lequel Ayla se mit à souffler. Une flammèche naquit, Ayla l’entretint avec de l’amadou puis avec du petit bois. Lorsque le feu eut pris, elle se redressa. Le Zelandoni la regardait, bouche bée.

— Tu vas gober des mouches, comme ça ! lui lança le Maître du Troc dans un rire.

— Comment as-tu fait ? demanda le doniate local.

— Ce n’est pas très difficile, avec une pierre à feu, répondit Ayla. Je te montrerai avant de repartir, si tu veux.

Après avoir attendu quelques instants pour laisser la démonstration faire pleinement son effet, la Première intervint :

— Allumons les lampes. Je vois que tu en as apporté plusieurs. Il y en a d’autres en réserve à l’intérieur ?

— Généralement. Cela dépend de qui est passé en dernier, répondit le jeune Zelandoni. Mais je n’y compte pas trop.

Il tira de son sac à dos un paquet de mèches entouré d’une peau brute et une corne d’aurochs creuse provenant d’un jeune animal, donc plus maniable que celle d’une bête adulte. L’extrémité large avait été recouverte par plusieurs couches de boyau attachées par un tendon. La corne contenait de la graisse amollie. Il avait aussi fabriqué quelques torches avec des feuilles et des brindilles fixées autour d’un bâton quand elles étaient encore vertes et souples, il avait laissé le tout sécher avant de le plonger dans de la résine de pin chaude.

— C’est une très grande grotte ? demanda Amelana, un peu nerveuse.

— Non, répondit le Zelandoni. Il y a une salle principale à laquelle mène un passage, une autre salle plus petite à gauche et une galerie secondaire à droite. La plupart des zones sacrées se trouvent dans la salle principale.

Il versa de la graisse dans chaque lampe de pierre, ajouta des mèches de champignon séché, les alluma avec une brindille une fois qu’elles eurent absorbé un peu du combustible. Il alluma aussi l’une des torches, remit son matériel dans son sac et l’accrocha à son épaule. Puis il pénétra le premier dans la grotte, l’un des chasseurs fermant la marche pour s’assurer que personne ne se retrouve en difficulté ou ne soit distancé. Le groupe était nombreux et si la grotte n’avait pas été d’un accès relativement facile, la Première n’aurait pas laissé autant de personnes la visiter en même temps.

Ayla se trouvait près de la tête avec la Première, et Jondalar venait derrière. Baissant les yeux un instant, elle remarqua une lame de silex brisée et, un peu plus loin, une autre qui semblait intacte, mais elle les laissa toutes deux sur le sol. Une fois qu’ils eurent franchi l’étroit passage de l’entrée, la grotte s’ouvrit dans les deux directions.

— À gauche, c’est juste une galerie exiguë, expliqua le jeune Zelandoni. Celle de droite conduit à la salle secondaire. Nous irons tout droit, plus ou moins.

Il tenait haut sa torche et, quand Ayla regarda derrière elle, elle vit la file des visiteurs s’étirer dans l’espace élargi. Trois lumières s’y intercalaient, trois porteurs de lampes de pierre. Ils empruntèrent la galerie, laquelle s’incurva légèrement sur la droite puis sur la gauche, la direction restant à peu près la même. Lorsque le passage se rétrécit de nouveau, le doniate fit halte, approcha sa torche de la paroi de gauche, permettant à Ayla de découvrir des traces de griffes.

— À une époque, des ours ont hiberné dans cette grotte mais je n’en ai jamais vu, dit-il.

Devant, des blocs de pierre tombés de la voûte les obligèrent à se remettre sur une seule file. De l’autre côté de l’éboulis, le Zelandoni tint de nouveau sa torche vers la gauche pour éclairer les premiers signes sûrs d’une présence humaine antérieure : des boucles, des courbes tracées avec les doigts ornaient la paroi. Un peu plus loin, la galerie s’élargit de nouveau.

— La salle secondaire se trouve à gauche et n’offre pas grand-chose à part des points rouges et noirs à certains endroits, reprit-il. Malgré leur aspect banal, ils sont chargés de sens mais il faut appartenir à la Zelandonia pour les comprendre. Nous continuons dans la même direction.

Il marcha droit devant lui puis, après quelques pas vers la droite, s’arrêta devant un panneau marqué de traces de doigt à l’ocre rouge et de six empreintes de main noires. Le panneau suivant, plus complexe, montrait des formes humaines, mais floues, presque fantomatiques, et des cerfs séparés par des points. Les visiteurs se regroupèrent autour du panneau énigmatique, vaguement effrayant, qui fit frissonner Ayla. Elle ne fut pas la seule à avoir cette réaction et la grotte devint soudain silencieuse.

À gauche, après une saillie de la roche, une niche s’élargissait en un panneau sur lequel on avait peint en noir, l’un sur l’autre, les contours de deux superbes mégacéros. Celui de devant était un mâle aux bois palmés imposants, au cou épais et musclé, indispensable pour porter une charge aussi lourde. En comparaison, sa tête semblait menue. Pour avoir dépecé ces cerfs géants, Ayla savait que la bosse de leur garrot était un amas serré de tendons et de muscles, eux aussi nécessaires pour un tel poids. Le mégacéros suivant avait également un cou puissant et une bosse au garrot mais pas de bois. Ce pouvait être une femelle mais Ayla pensait plutôt que c’était un autre mâle qui avait perdu sa ramure après le rut automnal. Une fois passée la saison des amours, il n’avait plus besoin de cet étalage majestueux qui prouvait sa force et attirait les femelles, il valait mieux qu’il conserve son énergie pour survivre à l’hiver glacial qui s’abattrait bientôt sur lui.

Ayla admira longuement les mégacéros avant de remarquer soudain le mammouth, à l’intérieur du corps du premier gigantesque cerf. Il n’était pas complet, l’artiste n’avait tracé que la ligne du dos et de la tête, mais cela suffisait. Elle se demanda ce qu’on avait peint en premier, le mammouth ou les mégacéros. Elle étudia de plus près le reste du panneau. Au-dessus du dos du premier cerf, devant la tête du second, des lignes noires représentaient deux autres animaux, eux aussi incomplets : la tête et le cou d’un chamois aux cornes recourbées en arrière, les cornes, vues de face, d’un autre animal de montagne qui pouvait être un bouquetin.

Avançant encore, ils parvinrent à une autre série d’animaux aux contours noirs, dont un troisième mégacéros. Il y avait aussi un cerf plus petit représenté en partie, une chèvre des montagnes, un cheval suggéré par sa crinière hérissée et l’amorce du dos, ainsi qu’une forme à la fois étonnante et effrayante. Partielle elle aussi, elle montrait la partie inférieure d’un corps qui semblait humain, avec trois traits qui pénétraient dans son fessier ou en émergeaient. Avait-on voulu représenter des sagaies, montrer qu’on avait chassé un être humain ? Mais pourquoi une telle image sur la paroi d’une grotte ? Ayla tenta de se rappeler si elle avait déjà vu un animal représenté percé de sagaies. Ou avait-on voulu montrer quelque chose qui sortait du corps ? Le derrière n’est pas une cible logique pour un chasseur, pensa-t-elle. Une sagaie dans les fesses ou même dans le bas du dos n’est pas fatale. Peut-être avait-on cherché à représenter une douleur dans le dos aussi vive qu’un coup de sagaie.

Elle secoua la tête : elle aurait beau avancer des hypothèses, elle ne connaîtrait jamais la véritable explication.

— Qu’est-ce que ces traits signifient ? demanda-t-elle au Zelandoni local en indiquant la forme humaine.

— Tout le monde se pose la question, personne ne sait. Cette image a été peinte par les Ancêtres.

Il se tourna vers la Première.

— Tu connais la réponse ?

— On n’en fait pas mention dans les Histoires et Légendes Anciennes mais je peux au moins dire ceci : le sens de toutes les images d’un lieu sacré est rarement évident. Tu as toi-même appris, en pénétrant dans le Monde des Esprits, que les créatures diffèrent souvent de ce qu’elles paraissent. La plus violente peut être amadouée, la plus féroce peut être douce. Nous n’avons pas besoin de connaître la signification de cette image. Nous savons déjà qu’elle était importante pour celui qui l’a mise là, sinon elle n’y serait pas.

— Mais les gens veulent savoir, objecta le jeune homme. Ils font des suppositions, ils se demandent si elles sont vraies.

— Les gens devraient savoir qu’on n’obtient pas toujours ce qu’on désire, répondit la femme mafflue.

— J’aimerais quand même pouvoir leur dire quelque chose…

— Je viens de te dire quelque chose. C’est suffisant.

Ayla se félicitait de ne pas avoir posé elle-même la question, comme elle en avait eu l’intention. La Première répétait souvent que n’importe qui pouvait lui poser n’importe quelle question, mais Ayla avait déjà remarqué que son maître ridiculisait parfois la personne qui s’y risquait. L’idée vint à l’acolyte que c’était peut-être parce qu’elle ne connaissait pas la réponse mais que, en qualité de Première, elle ne pouvait reconnaître son ignorance. Si elle s’en tirait parfois par une dérobade, elle ne mentait jamais. Tout ce qu’elle disait était vrai.

Ayla non plus ne mentait jamais. Les enfants du Clan apprenaient très tôt que leur façon de communiquer rendait le mensonge quasi impossible. Lorsqu’elle était retournée chez ceux de son espèce, elle avait remarqué qu’ils mentaient parfois et qu’ils avaient du mal à se souvenir de leurs mensonges. Elle en avait conclu que mentir causait finalement plus d’ennuis que de bienfaits. La Première avait trouvé un moyen d’échapper à certaines questions en amenant ceux qui les posaient à s’interroger sur leur pertinence. Ayla détourna la tête et sourit en songeant qu’elle venait peut-être de découvrir quelque chose d’important sur sa puissante aînée.

Elle ne se trompait pas. La Première la vit tourner la tête et surprit l’ébauche de sourire que son acolyte avait tenté de cacher. Elle en devina la raison et fut satisfaite. Le jour viendrait peut-être où Ayla devrait recourir à des stratagèmes semblables.

Ayla reporta son attention sur la paroi. Le jeune Zelandoni s’était avancé pour éclairer de sa torche le panneau suivant, qui comportait deux chèvres et des points. Plus loin, il y avait deux autres chèvres, des points et des lignes courbes. Animaux, points et traits étaient parfois en rouge, parfois en noir. Les visiteurs sortirent de la niche. Sur la paroi opposée, sept traits partaient d’une forme vaguement humaine. C’était une représentation sommaire : deux jambes, deux bras très courts, une tête difforme, tracés en noir. Ayla eut envie de demander ce qu’elle signifiait mais la Première ne le savait probablement pas, même si elle pouvait faire quelques suppositions à ce sujet. Elles en parleraient plus tard. Il y avait aussi dans cette partie de la grotte quatre mammouths rouges, très simplifiés, parfois seulement esquissés, juste de quoi identifier l’animal, ainsi que des cornes de chèvre et d’autres points.

— Placez-vous au milieu de la salle, recommanda le Zelandoni, vous verrez toute la paroi si ceux qui portent les lampes restent près d’elle.

Ils prirent la position indiquée dans un brouhaha de murmures et de raclements de gorge, mais bientôt tous se turent en contemplant à distance ce qu’ils avaient regardé de près. En voyant ces images ensemble, ils commencèrent à sentir la puissance mystique qu’elles donnaient à la roche nue. Un instant, dans la lumière tremblotante et la fumée des lampes, les formes parurent bouger ; Ayla eut l’impression que la paroi était transparente et la laissait entrevoir quelque autre lieu. Elle frissonna, battit plusieurs fois des paupières, et la roche redevint opaque.

Sur le chemin du retour, le Zelandoni leur montra plusieurs endroits portant des points et des marques. Lorsqu’ils quittèrent la partie ornée de la grotte et s’approchèrent de l’entrée, la lumière du jour éclaira les derniers mètres. Elle leur parut extrêmement vive après ce long moment passé dans l’obscurité. Ils sortirent en clignant des yeux, attendirent que leur vision s’adapte. Ayla mit un moment à remarquer la présence de Loup, un autre à constater son agitation. Il jappa, s’élança en direction de l’abri, fit demi-tour et revint vers elle, jappa de nouveau avant de repartir.

Ayla se tourna vers Jondalar.

— Il se passe quelque chose, dit-elle.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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